En français, il existe un terme pour faire prendre racine (enraciner) et un second pour arracher de terre un élément, avec toutes ses racines (déraciner) ; mais il n’existe, à ma connaissance, aucun terme pour formaliser la recherche de ses origines, de ses propres racines. Alors qu’elle s’apprête à découvrir la maternité, Marie Mons interroge son passé, celui de sa mère et plus encore celui de son grand-père, Paul, qu’elle a à peine connu, et qui n’a pas souhaité reconnaître sa fille, sa mère. Pour espérer quelque réponse, direction la Marti- nique, halte à Case-Pilote puis marche vers le sud jusqu’à un paradis secret, encaissé entre deux falaises... une plage radieuse au sable diablement sombre : l’Anse Noire. Débute alors, ici et ailleurs, une introspection tourmentée, évanescente, désorientée, silencieuse, ardente. En un mot : volcanique. La quête de Marie l’engouffre au cœur d’une flore généreuse, là où a germé son identité profonde, tandis que la culture créole lui fournit quelques clés, sans savoir vraiment quelles portes elles ouvrent vraiment. Les langues se délient, le passé fait mine de se recomposer, avec ses brèches, ses incertitudes et ses désillusions ; une empreinte surgit de nulle part, puis disparaît. Une histoire qui s’évapore tandis qu’une autre commence ; le cri sourd d’un ange, à qui la vie lance... un nouveau sourire.



Un sourire de Case-Pilote
Frédéric Martin
5, rue du, septembre 2023

Paru aux Éditions de Juillet, Un sourire de Case-Pilote par Marie Mons est un voyage, une quête à la recherche d’un ancêtre, Paul, le grand-père que Marie a très peu connu et avec qui elle n’a pour ainsi dire pas échangé. La photographe s’est rendue lors de plusieurs séjours à la Martinique en 2018, 2019 puis en 2021. Mais au-delà de cette recherche, il y a aussi parallèlement la maternité de Marie, cet enfant à naître, qui poursuit une descendance fragmentée et imprécise.C’est donc un ouvrage de quête, d’intime pour lequel l’écrivain Patrick Chamoiseau livre une postface aussi belle que touchante.

Une jungle exubérante, étouffante et une Vierge qui émerge, silhouette solitaire et fragile au milieu des nuances de vert infinies. La jungle encore, les lianes, une femme nue allongée sur un arbre, presque perdue elle-aussi.

La même femme en robe créole, puis le carnaval, des masques grimaçants, la nuit.

Deux cartes postales, quelques mots de Paul, ce grand-père qui eut de nombreux enfants, de nombreuses femmes. Qui fût le père de la mère de Marie qu’il ne reconnut pas.

Cette question, à la réponse impossible : « Qui était Paul ? »

Des bâtiments abandonnés, un monument aux morts, hommage aux Poilus martiniquais qui allèrent défendre le pays en guerre. C’est aussi la France ici.

Le vert de la forêt, l’enfant est né, une statue décapitée, des lianes encore, cette sensation de touffeur moite, la finitude d’une île, Marie flottant dans l’eau, Ophélie aux yeux clos…

Un sourire de Case-Pilote est un livre de recherches et de possibles ; un livre où l’autrice, en partant à la découverte de cet homme insaisissable pour elle que fût son grand-père, part aussi en quête d’elle, du legs qu’elle devra laisser à son enfant.

Parce qu’il est question ici de racines, et de racines multiples, embrouillées, fuyantes et aussi impénétrables que cette jungle qui couvre une partie de l’île.

Que laisse-t-on à nos enfants, quelles mémoires, quels héritages ? Il y a bien évidemment des biens matériels, des lettres, un vêtement, des bibelots. Il y a les souvenirs des moments partagés avec eux.  Mais il y a aussi ces legs invisibles ou plus difficiles à saisir.

Ce peut-être une origine, ce peut-être la mémoire d’un aïeul, d’autres choses aussi ténues que complexes.

Or, les legs de Marie Mons sont multiples Une partie de ses racines plonge sur l’île de la Martinique, mais elle doit faire le chemin à rebours, s’imprégner non seulement des lieux mais aussi des coutumes ou traditions qu’elle ne connaît pas particulièrement pour en appréhender la profondeur

Peut-on transmettre quelque chose qui ne nous appartient pas en propre, mais qui pourtant fait partie de nous ?

Vaste question, aux réponses aussi incertaines que nombreuses.

L’autre part de Marie c’est l’héritage biologique. Ce Paul, grand-père aussi rare qu’inconnu, dont il ne reste que bien peu de choses. La réalité de son existence est attestée par une sépulture, mais en dehors de ça, quoi ? Il est le père d’une fille qu’il ne reconnaîtra pas (au même titre que trois autres de ses enfants), il écrivait des cartes postales et sa réputation ne semble guère fameuse.

Rien de plus, rien de moins.

Finalement, la réalité des photographies de Marie Mons dans Un sourire de Case-Pilote est la réalité de sa recherche. Cette végétation dense, impénétrable c’est aussi ces autoportraits où la future mère semble s’interroger autant sur le passé que sur l’avenir.

Et que reste-t-il à la fin ? Pas de réponses, ou plutôt des réponses sans romantisme. Ainsi, l’abandon est ici un fait que l’on ne souhaite pas évoquer mais qui existe fréquemment.

Pourtant, il reste quelque chose de fondamental quand on lit le livre de Marie. Cette impression que, si la quête de Paul fût presque vaine, ou du moins incomplète, la photographe a construit quelque chose d’elle, dans cette transmission tri-générationnelle où elle pose en compagnie de sa mère et de sa fille.

Marie Mons a suivi un fantôme, un homme difficile à cerner et qui cherchait peut-être à ne pas l’être, mais elle paraît aussi toucher à un essentiel personnel. Se sera-t-elle trouvée, aura-t-elle trouvé aussi une sorte de chemin de parentalité en suivant cette voie ?

Elle seule le sait. Mais lire Un sourire de Case-Pilote c’est aussi parcourir celle-ci et entreprendre un voyage magnifique, intime et bouleversant.



Martinique, mystères d’une identité
Fabien Ribery
L’intervalle, août 2023

Porté par une énergétique de la couleur, Un sourire de Case-Pilote, de Marie Mons, est un livre sur l’identité métisse de l’auteure, martiniquaise par son grand-père.
Alors qu’elle devient mère, la photographe s’interroge sur ses racines, son être propre, et le legs qu’elle transmet à son enfant.
Nous sommes tramés, parlés, inventés, créolisés.
Il n’y a pas de lieu clos, la porosité est notre loi, et notre chance.  
Marie Mons n’a connu que très peu son grand-père, né en 1926 dans le village de Case-Pilote.
« Je ne l’ai vu, précise-t-elle à l’orée de son livre, que rarement et ne lui ai pour ainsi dire presque jamais parlé. Il s’est marié deux fois et a eu de nombreuses compagnes. On lui connaît sept enfants de cinq femmes différentes, mais Paul n’a pas reconnu quatre d’entre eux, dont ma mère. »
Un sourire de Case-Pilote part à la rencontre de la culture créole, conques blanches, cartes postales, verre de rhum, et passé traumatique lié à la violence coloniale.
Marie Mons marche parmi des luxuriances végétales, se retourne pour parler avec un fantôme, cherche des traces.
Sa nudité est celle, troublante, sensuelle, fine, d’une femme androgyne, presque androïde, ultramoderne.
Comme la maternité, l’île peut être un paradis, et un enfer d’angoisses.
Aux Antilles, la culture atavique n’existe que dans le métissage, tout fait liane, entrelacs, entrelacements, entremêlements.
Quelle mémoire transmettre à l’enfant qui vient ?
Quelles odeurs lui offrir ? quels paysages intimes ?
La vierge Marie veille sur les cactus, les feuilles immenses, et les nuits de solitude.
Voici un photomaton de Paul, barbe impeccablement taillée, air sévère.
Voici des photographies de famille et des vues contemporaines.
Y a-t-il des secrets enfouis dans la savane caribéenne ?
Une femme allongée, yeux grands ouverts, regarde le vide.
Fleurs et rouge sang.
Tenue traditionnelle et masques rituels.
La nuit remue, il y a des lumières et des présences lointaines, des défilés de carnaval pour traverser, ensemble, sans crainte, les ombres menaçantes.
Les morts-vivants dansent la souffrance des esclaves, des assassinés, des mutilés marrons.
Il y a presque toujours pour les insulaires un îlot faisant face à la côte, un point de focalisation, lieu où se rassemblent les esprits, comme un foyer d’énigme fascinant.
Un sourire de Case-Pilote offre une impression de Martinique, comme une sorte d’huile essentielle visuelle.
Etrangère, la photographe ne se fantasme pas antillaise, mais sa singularité est trouée, ouverte.
Ça bée dans l’absence, mais ça insiste dans la mémoire.
L’enfant est là maintenant, beau comme un dieu d’avenir.
Il y a du danger psychique dans le sauvage, le voyage aux Tropiques était une introspection, bébé est un âtre nouveau.
En postface, Patrick Chamoiseau écrit superbement : « Marie Mons ne chemine pas vers une terre natale, un territoire où s’enraciner, une généalogie où s’épingler, mais elle dérive vers un « lieu du monde » qui témoigne d’un bout de son origine indécise, elle y passe, y récolte toute la richesse possible dont témoigne cette œuvre photographique, puis elle s’en va, emportée par sa construction-déconstruction identitaire, unique, inclassable, dans la substance brumeuse de notre époque. »



La part des anges et de la relation
Patrick Chamoiseau
Postface du livre “Un sourire de Case-Pilote”, Juin 2023

Nous avons encore du mal à comprendre que le monde a changé.
Cet ouvrage de Marie Mons nous le rappelle.

L’homo-sapiens a toujours vécu dans des ensembles communautaires qui maintenaient son individuation à très basse intensité. L’individu vivait au service de la communauté, dans un ensemble de règles, de lois et de symboles que lui fournissait cette dernière. Il se voyait enserré dans un tissu d’ancêtres, père, mère, frères et alliés de toutes sortes. Il était corseté par une généalogie qui parfois remontait jusqu’à la création de l’univers. La règle communautaire ancienne était d’avoir un père et une mère bien identifiés dans un buisson d’ascendants et une lignée de descendants. Cette parentèle relevait, à peu d’exceptions près, de la même terre, de la même langue, de la même culture, le tout servant d’écrin à un destin pour le moins prévisible.

Depuis, le monde a fait «Tout-monde».

 Les civilisations, les peuples et les cultures se sont mutuellement fracassés sous l’impulsion des colonisations occidentales qui servirent de prémices à une économie de marché planétaire. Nous nous retrouvons désormais dans un accélérateur de flux relationnels qui ont éjecté l'individu des vieilles emprises communautaires et de leur prêt-à-porter existentiel.

Nous vivons désormais dans la Relation.

Naître aujourd’hui, c’est souvent se confronter à une individuation qui n’est plus déterminée par une filiation communautaire précise. C’est se retrouver encore plus souvent dans un arbre généalogique incomplet, plein de ruptures, d’errances et de fantômes. C’est aussi se confronter à une solitude existentielle projetée dans la matière du monde dont elle reçoit d’ardentes stimulations. Dès lors, chaque individu contemporain constitue une expérience parfaitement singulière, irréductible à aucune autre. De plus en plus de personnes, précipitées en individuation, se retrouvent à devoir se définir entre plusieurs langues, plusieurs terres, plusieurs histoires, hybrides ou composites, dans des identités incertaines, déterritorialisées, sans filiations bien nettes, parfois avec des arrières-grands-parents, des grands-parents ou des parents qui se perdent ou s’estompent dans la complexité de rencontres furtives et improbables dans les histoires relationnelles de la planète.

Marie Mons a vécu ce trouble-là.
Elle le vit encore.
C’est la base de son art.
C’est le défi de sa vie : naître sans cesse dans l’incertain d’une fluidité.

Dans ce magnifique ouvrage, on voit comment elle s’élance au travers les histoires enchevêtrées du monde pour retrouver une trace fragile. Celle d'un grand-père originaire du pays-Martinique : une île-paradis relevant d’une équation assez proche de l’enfer, où mille couleurs se concentrent dans un commerce de noir et de blanc, « ne laissant guère de place aux demi-teintes ». Elle entame une quête artistique enchâssée dans une quête affective, un élan du cœur que seul transporte le geste créateur, celui de son ventre noué à celui de son âme. Une petite odyssée qui en finale aboutit à l’une de ces attestations impraticables que fournissent les cimetières et les tombeaux. Ce qui lui est à la fois donné et enlevé relève en définitive de « la part des anges » : « ces traces du passé comme évaporées avec le temps », ces volutes évanescentes qui toujours s’échappent de nos vies d’à-présent. Marie Mons ne chemine pas vers une terre natale, un territoire où s’enraciner, une généalogie où s’épingler, mais elle dérive vers un « lieu du monde » qui témoigne d’un bout de son origine indécise, elle y passe, y récolte toute la richesse possible dont témoigne cette œuvre photographique, puis elle s’en va, emportée par sa construction-déconstruction identitaire, unique, inclassable, dans la substance brumeuse de notre époque. Nous découvrons une artiste qui (comme tous les artistes fascinants d’aujourd’hui) œuvre à se construire en solitude-solidaire dans une présence parmi nous qui n’est plus territorialisée, « généalogisée », assignée à quelques fixités, mais qui peut naître et renaître sans fin, dans une mer gelée, dans une forêt de fougères, dans une île impénétrable, dans des compositions graphiques d’ombres de couleurs et de lumières, où se devinent des tressaillements génésiques avec lesquels elle se met en scène, se construit elle-même en devenir, et sublime, en beauté, sa vie d’artiste très étonnante.  


Of angels and relations

We still struggle to understand that the world has changed.
This work by Marie Mons reminds us of this.

Homo sapiens has always lived in communal groups, resulting in individuation being kept to low intensity. The individual being at the service of the community, living in accordance with rules, laws and symbols handed down by the latter, could come to be trapped in a web of ancestors, father, mother, brothers and allies of all kinds, bound by a genealogy that might stretch back to the creation of the universe. The ancient communal rule was to have a clearly identified father and mother among a multitude of ascendants and a line of descendants. This kinship, with few exceptions, meant coming from the same land, and sharing the same language and culture, all of which served as a backdrop to a fate that was to say the least predictable.

Since then, the world has invented “Everyman”.

Civilisations, peoples and cultures were shattered under the impetus of widespread Western colonisation, which would herald the advent of a global market economy. We now find ourselves in an accelerator of relational flows that have torn the individual from the grip of the community and stripped them of their existential ready-to-wear habits.

We now live in Relation.

To be born today is often to be confronted with a process of individuation that is no longer determined by affiliation to a precise community. It means more than ever finding oneself part of an incomplete family tree, full of ruptures, wanderings and ghosts. It also means being confronted with an existential solitude projected into the matter of a world that affords fervent stimulation. Consequently, each contemporary individual constitutes a perfectly singular experience that cannot be reduced to any other. More and more people, precipitated into individuation, find that they have to define themselves through several languages, lands and histories, hybrid or composite, in uncertain identities, deterritorialised, without clear filiations, sometimes with great great-parents, grandparents or relatives who get lost or blurred in the complexity of furtive and improbable encounters among stories of relationships across the planet.

Marie Mons has lived through this kind of uncertainty.
She is still living with it.
This is the basis of her art.
The defining challenge of her life is to be born continually in the uncertainty of fluidity.

In this outstanding work, we see how she dives into the tangled past of the world to find some fragile trace of a grandfather from the land of Martinique. This island-paradise is balanced precariously close to hell, where a thousand colours come to be concentrated in a trade of black and white, "with little room left for halftones”. She set off on an artistic quest embedded in an emotional one, a heartfelt urge that could only be carried by the creative act, like the impulse of her belly bound with that of her soul. It proved to be a short odyssey, finally culminating in one of those impassable testimonies of the sort furnished by cemeteries and tombstones. Ultimately, what is both given to her and taken from her is "the angels’ share, a trace of the past that has evaporated with time", one of those evanescent smoke rings that always evade us in our present-day lives. Marie Mons does not head towards a native land, a territory in which to take root, a genealogy in which to be pinned down, but drifts towards a "place in the world" which testifies to a part of her unsure origins, passing through, collecting all the ripe fruitfulness revealed by this photographic work, then leaving, carried off by this unique, unclassifiable, constructed-deconstructed identity, in the hazy substance of our time. We discover an artist who (like all fascinating artists of today) works to build herself in solitude-solidarity in a presence among us, no longer territorialised, "genealogised", assigned to a few fixities, but able to be born and reborn ceaselessly, in a frozen sea, a forest of ferns, on an impenetrable island, through graphic compositions of shadows, colours and lights, where amid divinable procreative thrills she stages herself, constructing herself in the making, and sublime, in beauty, her life as a most astonishing artist.



Vesperal anxiety
Sarah Goodchild Robb
2022

“To light a candle is to cast a shadow...” Ursula K. Le Guin, A Wizard of Earthsea.

Vesperal anxiety. A phrase I once heard someone use in conversation. Vesper in Latin means evening. Vespers are sung in the evening at a worship service in a holy setting, or may equally refer to the evening star.  The evening star, not a star at all, but rather a planet - a world far from ours. Venus, so bright it can be seen before the sun has fully set. In turn, this planet has its own well-known mythology connected to femininity, beauty, and fertility. The poetic reference to vesperal anxiety I had heard being used was explained through an image: that transitional moment at dusk, when the light slowly fades, as the day transforms into night, a feeling of loss, a moment in which the fragility of time is most acutely felt, and when we may be confronted by a sense of an ending, however brief. In the context of the conversation, this moment was being used to describe both an emotional state of mind and an ambient quality that could be expressed in poetry and art.

The series of photographs from Marie Mons’s project titled Stella Montis oscillate in subject matter between strange and sacred landscapes, to quiet interior spaces, to the figures that seem to inhabit this land that all together hint at a mysterious narrative and setting. Light is often captured in a moment of transition, especially in the landscapes where we see a darkening tree line, images of an unusually-formed mountain, the perspective of a forest canopy from below, or the rising of a blood moon at dusk. In contemplating the photos, I was reminded of the overheard conversation described above about fading light, spaces of limbo, and the connections to be made to interior, emotional states. The world-building Mons has constructed seems born not only of the natural surrounding beauty, but of the quality of light itself and the ambience of otherworldliness it casts--a beautiful uneasiness, a scape frozen on the brink of a constant fading flux that transports the viewer elsewhere.

This elsewhere is dominated by a feminine or otherwise androgynous presence and these figures are shown performing (sometimes) unusual, but presumably everyday, tasks or intimate moments of repose, further adding to the mystery of this place. Rather than feeling staged, the photos read as documentation of the life of these (human?) beings, who equally travers interior and exterior spaces. If the outdoors is characterized by dimming light, interior spaces tend to be defined by the use of chiaroscuro, where a mostly invisible and powerful source of light highlights a figure or action that recedes into a darkened space.  And in both these interior and exterior spaces, a tension is held either through the play of light, or the uncertainty of what it is we are seeing. One figure is plastered in mud, one more bask in light outstretched in a bed, someone is holding a mask away from their face so that the only light that is cast on their skin is through the eye holes. Hands are emphasized -hands that carefully hold sunlight as a beetle crosses them, hands that cut another’s hair in an act of care, hands that reach and hold an egg-shaped orb.  

This last image is perplexing for again we are faced with ambiguity. All we see are three arms and hands interacting with the egg and draped fabric dramatized by the play of highlights and shadows typical of these indoor settings. Is it one figure with three arms, is there more than one person present? Are they passing the egg, or is one trying to keep it from the other?  

In another image we see two figures with their backs to the viewer, one behind the other in a doorway moving away from a source of light into darkness; we cannot see what is beyond the threshold. The figure closest to this portal is slightly hunched as if defeated, while the second nearest the camera holds a white-gloved hand to their lower back near the waist. It is a gesture that can equally be read as control or comfort: are they compelling the other to move towards the dark or are they reassuring through touch?

The ambiguity of the above gesture encapsulates the overall tentative sense that pervades the series. The figures are photographed both in solitude and in the company of one another, yet in either case the figures appear withdrawn or lost for a moment in their own private world. Though perhaps deep in contemplation and estranged from one another, these bodies do seem united with the elements that surround them: the soil, the mountain, the bed, the light, the beetle. They are as much one with their surroundings as anything. As with their world, frozen at half-light, the inhabitants exist in an in-between state of their own.


"Allumer une bougie, c'est projeter une ombre..." Ursula K. Le Guin, Le Sorcier de Terremer.

Anxiété vespérale, j’avais entendu cette expression dans une conversation. Vesper en latin signifie le soir. Les vêpres sont chantées le soir lors d'une messe dans un cadre sacré. Ce mot peut aussi faire référence à l'étoile du soir, qui n’est pas une étoile, mais serait plutôt une planète - un monde loin du nôtre. Vénus est si brillante qu'elle peut être vue avant le coucher complet du soleil. Par conséquent, cette planète a sa propre mythologie bien connue, liée à la féminité, la beauté et la fertilité. La référence poétique à l'angoisse vespérale s’expliquait par cette évocation : un moment de transition émerge au crépuscule lorsque la lumière s'estompe lentement. À l’instant où le jour se transforme en nuit, un sentiment de perte surgit, nous fait ressentir la fragilité du temps avec plus d’acuité et met en présence l’idée d'une fin, aussi brève soit-elle. Dans le contexte de la conversation, ce moment était utilisé pour décrire aussi bien un état d'esprit émotionnel que l’atmosphère ambiante, il pouvait être exprimé par la poésie et l’art.

La série de photographies de Marie Mons intitulée Stella Montis oscille entre paysages étranges et sacrés, espaces intérieurs silencieux et personnages semblant peupler cette terre ensemble en ajoutant une touche de mystère aux récits et décors. La lumière est souvent saisie dans un moment de transition, en particulier dans les paysages où l'on voit une ligne d'arbres qui s'assombrit, des images d'une montagne à la forme inhabituelle, la perspective d'une voûte forestière ou encore le lever d'une lune de sang au crépuscule. En contemplant les photos, je me suis souvenue de la conversation sur la lumière déclinante, les espaces de limbes et leur lien avec les états émotionnels intérieurs. Le monde que Marie Mons a construit semble non seulement né de la beauté de la nature environnante, mais aussi de la qualité de la lumière elle-même et de l’ambiance d’au delà qu’elle suscite - une céleste inquiétude, un paysage figé au bord d'un gouffre qui se creuse constamment et nous transporte ailleurs.

Cet ailleurs est dominé par une présence féminine ou d’un autre genre. Les personnages sont représentés accomplissant (parfois) des tâches inhabituelles, mais vraisemblablement quotidiennes ou dans des moments de repos intimes, ajoutant encore au mystère de ce lieu. Plutôt que mises en scène, les photos sont à voir comme un documentaire de la vie de ces êtres (humains?) qui traversent les espaces intérieurs et extérieurs. Si l'extérieur se caractérise par une lumière tamisée, les espaces intérieurs ont tendance à être définis par l'utilisation du clair-obscur ou d’une source de lumière principalement invisible et puissante qui met en évidence une figure ou une action qui s'éloigne dans un espace sombre. Et dans ces espaces intérieurs et extérieurs, une tension est maintenue soit par un jeu de lumière, soit par l'incertitude de ce que nous y voyons. Un personnage est recouvert de boue, un autre se prélasse dans la lumière étendu dans un lit, quelqu’un tient un masque à distance de son visage afin que la seule lumière qui soit projetée sur sa peau passe par les trous pour les yeux. Les mains sont mises en valeur, elles retiennent soigneusement la lumière du soleil lorsqu'un scarabée les traverse, coupent les cheveux dans un acte de soin, (re)tiennent un orbe en forme d’œuf.

Cette dernière image me laisse perplexe car nous sommes à nouveau face à une ambiguïté. On ne voit que trois bras et trois mains qui interagissent avec l'œuf et le tissu drapé, le tout est mis en scène par un jeu d’ombres et de lumières typique de ces décors intérieurs. Est-ce le personnage à trois bras, y a-t-il plus d'une personne présente ? Est-ce les mains se passent l'œuf ou est-ce que l'un essaie de le garder de l'autre ?

Dans une autre image, nous voyons deux personnages, l'un derrière l’autre, dos au spectateur, ils s’apprêtent à passer de la lumière à l’obscurité en traversant une porte ; nous ne pouvons pas voir ce qui se trouve au-delà du seuil de cette porte. Le personnage sur le point de passer la porte est légèrement voûté comme s'il était vaincu, derrière lui, l’autre personnage le tient près de la taille, dans le bas du dos, d’une main gantée de blanc. C'est un geste qui peut être lu aussi bien comme une attitude de contrôle que comme signe de réconfort : oblige-t’il l'autre à aller vers l’obscurité ou rassure-t’il par le toucher ?

L'ambiguïté de ce geste résume le sentiment général de doute qui imprègne la série. Les personnages sont photographiés à la fois dans la solitude et en compagnie les uns et des autres, mais dans les deux cas, ils semblent retirés ou perdus un instant dans leur propre monde privé. Bien que peut-être plongés dans la contemplation et éloignés les uns des autres, ces corps semblent unis aux éléments qui les entourent : le sol, la montagne, le lit, la lumière, le scarabée. Comme leur monde, figé dans la pénombre, les habitants vivent un état d'entre-deux qui leur est propre.




Marie Mons, vers une renaissance
Retour sur une expérience de l’intimité en acte

Pascal Therme
9 Lives Magazine / L’autre quotidien, Avril 2022

“Chaque lecteur, là, où il se trouve, est le propre lecteur de soi même” Bergson.

J’ai rencontré Marie Mons très récemment et regardé son travail du point de vue de ce que génère un acte majeur dans la création d’un jeu avec soi-même, ce qui raisonne avec la problématique de la rencontre du sujet inavoué… et d’une certaine recherche d’un temps perdu et retrouvé.

Les pratiques initiatrices sont courantes chez nombre de photographes qui interrogent un certain nombre de liens entre leur problématique profonde et des thématiques en rapport avec la société ou plus personnelles, intimes, familiales… il y a souvent passages, création de sens, dé-couvertes, résolutions positives, élucidations, dissipations de points aveugles et retors, auto-analyse, en quelque sorte, souvent, une investigation porteuse de lumière et photographies, retraçant, dans un dispositif ce qui s’est inscrit de cette recherche, soit littéralement, soit analogiquement, voire métaphoriquement ou symboliquement.  Partir à la recherche de…,  devient un acte de construction de soi, qui ouvre des chemins différentiels, différentiés, afin de trouver souvent une nouvelle résolution de l’être, de pouvoir se percevoir autre et différent, dans bien des cas, il s’agit d’une re-naissance. C’est ici le cas pour Marie Mons.

Marie Mons devient Aurore Colbert…

Aurore Colbert est cette jeune femme qui sort de la mer glacée, en pleine hiver, nue, comme une déesse ou une nymphe. On pense étrangement à la naissance de Vénus, boticellienne, ici frontale et solitaire, rebelle néo-punk, initiatrice d’expériences nouvelles, initiatrice de soi même, en quête d’un acte fondateur de l’unité de soi, dans un espace pur, marin, primitif, à l’aurore, ce temps où le jour se défait de la nuit, passage entre les mondes.

La Vénus sortie des eaux ou Vénus anadyomène (du grec ancien ἀναδυομένη, signifie surgie vers le haut, c’est-à-dire sortie des eaux ou surgie des eaux)  est un thème artistique courant de la peinture occidentale, issu de la mythologie gréco-romaine, il fait ici retour, surgie vers le haut, apparition, intuitions, fiction. La référence au mythe gréco-latin n’est pas neutre, même si le lieu choisi par Marie Mons est au Nord de l’Europe, qui est topographiquement parlant au dessus de l’Europe.

Surgir vers le haut implique de se situer dans un autre système de référence mythographique, en lien avec la psyché, ici, la création artistique. En effet, dans la théogonie d’Hésiode, la naissance d’Aprhodite/Vénus, qui aurait émergé de l’écume de la mer à Chypre, a lieu après que le sang et le sperme, ces deux substances inséminantes, émanant de la castration d’Ouranos (le ciel) se soient mêlées à la mer. L’acte cosmogonique des amours de la Terre et du Ciel, Ouranos féconde Gaia, donne la vie en inséminant les eaux primordiales par le Haut, source de toute vie. La naissance de Vénus en est une représentation symbolique et nous touche culturellement, parce que cette représentation insémine une part de cette présentation au Monde de ce qu’est le monde des origines. La beauté est Amour en Vénus.

La performance de Marie Mons, Aurore Colbert est un acte de création qui reprend analogiquement le mythe, s’il est centré ou auto-centré; une correspondance s’établit, entre deux récits. C’est dire que Marie Mons est lié à cette psyché occidentale dans la référence que sa performance recréé de la naissance de son double, à partir de la mer. Une même essence coalise les deux naissances vers le haut, ici, utilisée comme émergence physique, dans un récit visuel, la vidéo de la performance, qui donne corps à l’expérience magico-religieuse d’un rite de passage.

Très curieusement, sur un autre plan interprétatif, analytique, cette intimité que livre Marie Mons d’Aurore Colbert est un dédoublement où l’auto-fiction permet une distance, afin de s’affranchir des quotidiens normatifs dans une transgression qui lui permet d’aller à la rencontre de soi même, libre d’elle même, dans une démarche artistique, en inventant une seconde personnalité, un personnage fictif, assez proche d’elle même; c’est l’expérience d’une dualité envisagée par arrachement, dédoublement. autonomie, en vue de…faire œuvre, don, partage, exemple, créations, tant sur le plan de l’intimité  psychologique, que par l’image et l’écriture, le livre, la performance, c’est encore prendre part à ce théâtre ritualisé du vivant en soi, s’inventer, faire entrer le Jeu du dédoublement pour renaitre à soi même, ici, à travers la connexion à une communauté  norvégienne s’étant ré-apropriée toute les légendes nordiques dont rituels et épreuves afin de revivre l’esprit ancien.

En travaillant ce matériau brut de sa propre vie, de son propre temps par l’image, le film, en le distanciant dans un jeu ritualisé, un théâtre essentiel se met en place aux jeux du double. Marie Mons rétablit en Aurore Colbert la prédominance d’un présent neuf, débarrassé des marqueurs sociaux qui limitent et emprisonnent. Il y a là dans cet acte de re-naissance, la conclusion singulière d’ une quête identitaire en développements qui joue avec la persona évoquée, chère à Jung, précédemment à travers les masques, afin de faire sourdre, au delà des rôles sociaux pré-déterminés, une conscience plus libre de soi…. Il est question d’accéder à une vie plus essentielle: retrouver les sensations de ce qui lie l être aux fondements de sa Liberté retrouvée, dans de nouveaux rapports symboliques, mystiques, aux Mondes, à la sensation, à la justesse de soi dans une autre dimension de la relation à soi et au monde. Un retour aux origines dans une autre temporalité se fait, fantasmatique et magique, par la croyance en la puissance fondamentale du mythe. un acte symbolique a lieu.

Marie Mons renoue avec l’Unité nordique païenne, d’avant la christianisation, un monde de forces sauvages, bien connues des Vikings, et fait désormais partie de ce monde, jusque dans ses pérégrinations nocturnes et ses rituels magiques.

L’unité atteinte est en principe, celle, holistique du tout et de ses parties, l’un se réfracte dans la totalité et se dialectise dans la croyance que la totalité est en germe dans ses parties, que son programme quantique s’inscrit dans l’être renouvelé par son appartenance à un sacré, pur, idéal, luttant contre toute profanation.

Toute une physique des sens permet de re-situer l’être primordial, sauvage, relié aux éléments, au Monde, (d’avant les conditionnements) comme une île où il faut aborder, afin de renaître; territoires de l’intimité, du don, de la création, d’un sacré en travail, alors que se dé-fragmente la persona et que parait l’être nouveau dans de nouveaux liens et accords à un monde caché, enfoui. L’unité nouvelle fait principe et sens. Elle induit une expérience nouvelle dans un langage plastique qui survient à mesure qu’il s’élabore et qu’il se constitue, qu’il se diffuse aux cercles de cette société ancienne, au prix d’un dialogue fait de questions, de secrets, de récits romanesques, de merveilleux, pour produire également chez sa locutrice, un attachement romantique aux valeurs sauvages. Ce parcours constitue la trame des performances de Marie Mons.

C’est de fait la preuve d’une grande exigence de soi, dans une histoire qui  revendique  le Secret et l’Émerveillement, l’ouverture à l’Infini, au recouvrement de soi même, en tant que part élective, à ce qui enchante encore, une danse contemporaine invisible, intérieure, les parts sémillantes d’un éveil à une poétique de l’inscription du corps dans un espace conceptuellement autre, invisible, dé-linéé par d’autres instances,  vierge, dans un temps séparé sans temporalité. L’expérience mystique est devenue une matrice, produisant dans les happenings une forme de résilience heureuse, de retour à ce qui a été perdu, corrompu, oublié… puis re-trouvé.

Le minimalisme donne une certaine intensité à l’image qui se concentre sur elle même, pour dire que le rêve est une marche  en soi et que les mises en scène en sont l’expression vivante au secret (dans cette formule se dit aussi un abîme, un point obscur s’y réfracte…), dans une genèse qui échappe au jugement, par une poétique qui (con)sacre l’évènement, ce qui advient alors (Duras) du happening et de la création de cette aventure intérieure.

Il se passe une chose un peu magique, en ce regard, qui permet de passer le pont et de suivre aux sources de ce qui fait évènement, (la sortie du terrestre) le conte, qui se dit, alors que tout se tient dans un silence de création (Islande) et que tout s’affirme sans tension…comme accompli, comme s’il s’agissait de la formule biblique où les temps s’accomplissent….

De quoi fêter les mots qui naitront, dans un souffle de glace, de ces lèvres entrouvertes et qui murmurent silencieusement le temps différencié et joyeux de ce qui fut oublié et qui renait par l’anamnèse. Ce souvenir qui se fit ailleurs parole proverbiale… autrefois (longtemps, je me suis couché de bonne heure…). Marie Mons, Aurore Colbert sont, alors, pour tout témoin, lecteur attentif, l’invisible preuve que tout est vivant en ce passage d’où vient cette voie de l’Invisible Présence et que, les objets du voir dans leur matérialité ne sont que des paysages mentaux créés, soutenus par un théâtre de situations.

A travers l’épreuve, s’ouvre un chemin complexe et simple, celui de l’énigme, qui, tantôt, dans certains états modifiés de conscience… parait si simple, si évident, tantôt, livrée à la Raison, semble se dissoudre de soi même dans une brume hivernale pour revenir, plus tard en fantôme éclairé ou obscur, en questeur, au retour des souffles ultra marins, par la main qui pense le sujet inavoué… cette marche invisible à l’apparition d’un lien direct au Soi.

Qu’agrège le souvenir dans sa mémoire passée, que dit-il aujourd’hui de son présent, quel est ce temps, abîmes et ciel, neiges et soleils, douleurs et fièvres, langueurs et plaisirs, qu’agrège donc cette pratique libératoire de l’imparité du sens, à la nécessité de Faire?

L’épreuve mystique est toute intérieure, elle s’additionne ici aux preuves tangibles de son heureuse insémination dans les traces d’unité d’un regard qui se fait le portrait apaisé d’un monde où plus rien ne s’oppose et où tout participe de la paix heureuse et païenne de l’unité dévouée à l’être, dans toute son imparité… c’est ici, dans ce travail que Marie Mons fait état de la beauté accomplie et de Vénus, née par le haut, dans le tendre bonheur d’une paix sans victoire.

Que  signe ici ce qui fait présences, expériences, citations, afin que soit le monde en soi, dans une différenciation singulière et spirituelle, quand les portes de la perception sont au minuit, ouvertes aux midis et que tout flue entre les heures où tout parait éclairé par un récit intérieur; mythe appréciatif, appropriatif, issu de la nuit, vents stellaires, ouvert au jour; les ombres qui se déploient, par les soleils qui éclairent ne sont-elles pas issues de ce feu primordial d’hier et de toujours, dont Guy Debord fit sa devise, palindrome connu. In girum imus nocte et consumimur igni”.

Les baisers des fjords, quand la bouche reçoit du souffle prométhéen l’eau magique), est alcools, verbe, mots, silences… adresses.
… et sur ces points d’intensité, comme sur une boussole, se relèvent ces fantômes, ces rêves, ces manifestations d un Invisible esprit dont le temps est cette maille intime, fibre végétale du vent et de la terre, esprit de feu, mémoire d’eau, quand tout revient de ce Chaos et que s’organise, par Éros, ce qui va au Léthé et se noie dans l’oubli, ce qui vient du vivant et qui marque le temps…pour croitre dans le cycle puis se dissoudre, dès lors qu’il a produit un autre soleil, une autre idée dans une autre sensibilité, une autre réalité virginale et pure, comme ici une mutation du feu et de la calcination appelant une conjugaison des contraires, hors des apparences, dans ce qui fait la complicité des forces au travail de la forge et les purifications qui proviennent, ritueliques, des Cinq éléments.

Soleils mystiques, Invictus Niger Sole, par dedans le ciel nocturne, ou l’Esprit est au Nord,  Marie Mons chante en secret le cours éteint de sa marche éveillée vers l’Esprit de toute chose, pour en donner lecture dans ses productions, dans une dimension où tout a pris sa place et tout est vivant, magiquement. Marie Mons est enfin un être humain au centre du monde, une Cheyenne selon Arthur Penn.



“I am Aurore Colbert” said Marie Mons

Patric Clanet

PhotoLoft #18, Janvier 2021

Beauté fulgurante, qui brille d’une lueur très vive, qui frappe par son éclat ; tel pourrait se définir l’effet que me procura ma première rencontre avec ce singulier projet photographique lors de ma participation au jury de sélection pour la résidence de création de la Villa Pérochon. Un bon signe, qui relève des sensations, de l’“aesthesis”, avant-coureur d’une oeuvre en construction. Une invitation à aller au-delà en explorant les territoires de la “mimesis”, en interrogeant les intentions de l’artiste. J’ai donc regardé et j’ai ensuite essayé de comprendre. Que me propose- t-elle ? Qu’est-ce qu’elle me veut ? Que cherche-t-elle ? J’ai noté quelques mots qui me venaient à l’esprit.

Vie et mort d’Aurore Colbert
De janvier à mars 2016 la photographe Marie Mons s’est délibérement transformée. Cette métamorphose elle l’a documentée. [...] Elle s’est dédoublée le temps nécessaire pour mieux se retrouver et s’est autodétruite ensuite pour ne pas se perdre.

Aurore boréal
Il y a ici deux aurores. L’arrivée d’Aurore Colbert au sein de ce village de pêcheurs islandais est la lumière qui vient éclairer leurs longs mois dans la pénombre : “elle l’emporte sur l’obscurité” s’exclame une habitante à son sujet. Comme l’aurore boréal elle scintille, flamboie au sein de la communauté mais son mystère inquiète.

Prè-cogs
Cette beauté froide, qui fascine dès le premier regard, relève de l’imago, du visage, du masque que Marie nous donne à voir d’Aurore. Elle semble sortie tout droit d’un film de science-fiction adapté d’une nouvelle de Philippe K. Dick. Androgyne étrange, elle vient habiter un territoire intemporel dans lequel la réalité et la fiction se mêlent. Elle connait son futur et préfigure sa mort/renaissance prochaine.

Performances
Par le biais de la performance de l’artiste dans l’espace public mais aussi parce que ce projet artistique constitue une véritable performance d’un point de vue opératoire. Marie Mons a su en trois mois non seulement se faire accepter et déployer son protocole qui a fait oeuvre mais elle aussi réussi à impliquer les habitants dans la co-construction de celle-ci. Elle a fait que la population locale pense avec elle l’oeuvre en train de se faire et se l’approprie. Faire oeuvre comme on fait société.




Toutes les couleurs des mots

Didier de Faÿs
2020

Nous sommes tous photographes aujourd’hui. S’adresser au monde, c’est alors témoigner par la photographie d’un engagement essentiel. L’engagement peut-être politique ou poétique, c’est le parcours qui en donne sa valeur.
Celui de Marie Mons, alias Aurore Colbert est ponctué de livres à compte d’auteur, de pierres blanches qu’elle nous lance. Regardez-moi, dans toute ma différence que vous voyez en pleine gueule, j’existe. L’existence pour le photographe, c’est l’histoire racontée, la sienne ou celles des autres. Et la jeune photographe conjugue les deux. Regardez-moi, mon histoire c’est la nôtre.
De l’exil insulaire de l’Islande à la Martinique, Aurore, Marie nous emmènent à traverser nos identités. Le voyage initial au cœur des contrastes gelés est violent. Elle est née de cette différence. La différence est toujours violente. Le contraste de la glace à l’obscurité se révèle dans les emails initiatiques et les psalmodies des chamans. Chaque photographie est une renaissance qu’elle nous impose.
Sa vie se sur-impose en une odyssée où résonne l’onde de choc du racisme structurel anglo-saxon atteignant les racines de l’Europe. Traversant l’Atlantique en trois voyages vers l’île antillaise, sa photographie nous révèle notre histoire, celle d’il y a quatre cents ans –peut-être en filigrane– mais avant tout celles écrites par les Césaire, Glissant, Confiant ou Chamoiseau.
De la nuit polaire, le temps de la maternité, les mots, l’émoi de la photographie ont rejoint leurs textes de noirs et de blancs. Dans ce retour aux sources, la photographie ajoute ses couleurs à fleur de peau, de cannelle à sapotille, de griffe à chabine. Et le portrait est alors bien dressé, avec superbe, avec humanité :  la nôtre, si contemporaine, car la photographie de Marie Mons nous fait voir le sens de l’Histoire où sa réalité mise en scène, laisse entrevoir la différence dans toute sa beauté.




Quelque chose d’étrange et de mystérieux
Prudence Audié
2018

Un univers poétique et troublant qui retient notre regard par la subtilité de la composition, par la force plastique de ces images à la beauté picturale. Une femme et un homme, nus, dos au spectateur, s’apprêtent à passer une porte ouverte sur les ténèbres. Leur geste est comme suspendu, leur relation reste pour nous impénétrable, à moins que cette ébauche de récit ne s’évanouisse face à la beauté sculpturale des corps, travaillés par un jeu d’ombre et de lumière, qui importe peut-être davantage que la recherche d’une histoire. Il y a quelque chose d’irréel dans cette photographie, comme la persistance d’un mystère, comme si le monde se faisait symbole d’autre chose. Mais l’énigme peut aussi surgir du familier. Le quotidien nous apparaît alors dans son “inquiétante étrangeté”. Le mur blanc d’un appartement, un miroir moderne. Dans cet intérieur épuré, à l’esthétique actuelle, quelque chose semble perturber le spectateur. Une angoisse qui grandit, le vide, la solitude, l’abandon. Un monde insolite aussi, décalé ; un autoportrait nimbé de lumière, aux couleurs saturées, entre l’inscription dans la réalité du temps présent et l’éternité du symbolique. Extase moderne qui joue aussi avec les codes de la féminité. Il y a peut-être enfin une inquiétude fondamentale. La quête de soi, d’une identité fragmentée dans ses reflets et ses doubles, est aussi une quête de sens, une quête du sens. Ce n’est pas le miroir, mais bien le vide qui est au centre de la composition. Une porte qui mène au néant, qui s’ouvre sur le cauchemar. Perdre ses repères dans un monde où les frontières s’évanouissent et qui interroge les normes de la perception et du jugement avec douceur, une douceur essentielle, douceur du geste, à l’image de la main gantée qui accompagne vers la porte ouverte sur la nuit.

This poetic and disturbing world is captivating with its intricate compositions and powerfully visual, pictorially beautiful images. A naked man and woman, with their backs turned to the viewer, are about to go through a door into the dark. Their movement appears suspended and their relationship a mystery, unless this emerging narrative is lost in the face of the sculptural beauty of the bodies, shaped by an interplay of shadow and light, which is perhaps more important than looking for a story. There is something surreal in this photograph, like a continuing mystery, as if the world were a symbol for something else. Familiarity can also give rise to enigma. Everyday life comes across as “worryingly strange”: the white wall of an apartment; a modern mirror. In this minimalist interior of our time, something seems to disturb the viewer. Growing angst, emptiness, loneliness and neglect is palpable. An unusual and offbeat world. A self-portrait in saturated colour, glowing with light, between the present reality and the eternity of the symbolism. Modern ecstasy toys with femininity. Maybe there is ultimately fundamental concern. The search for oneself, for a fragmented identity in the reflections and doubles, is also a search for meaning, a search for the meaning. Emptiness, not the mirror, is at the heart of the composition. A door that leads to nothingness, that opens out onto a nightmare. Losing your benchmarks in a world where boundaries are disappearing and that gently questions norms in terms of perception and judgment, a vital gentleness, a gentleness in gestures, just like the gloved hand guiding toward the door and the dark.



L’aurore à chaque seconde

Fabien Ribery
L’intervalle, Décembre 2017

Naître maintenant, il suffit de le décider.
Changer d’identité, il suffit de le décider.
Le 26 janvier 2016, alors qu’elle est en Islande, dans le village de Seyðisfjörður situé dans un fjord, Marie Mons, artiste plasticienne invitée, décide de devenir Aurore Colbert, et d’entrer dans une fiction se développant à la lisière du fantastique, ce dont rend compte le livre “I am Aurore Colbert” (ARP2 Editions), journal d’une métamorphose (images/textes).
Les tarots sont tirés, les cheveux abandonnés, la neige tombe.
Le masque protège, et permet aussi toutes sortes de folies.
Il est métaphysique, illusion exposant l’illusion.
Androgyne, étrange, s’avance Aurore Colbert, en fourrure ou cotte de maille, maquillée telle une poupée de cire à étreindre, comme chez Hans Bellmer.
Le projet est de l’ordre d’une tentation mystique : réinventer sa présence par la force de rituels volontiers magiques en un territoire où le soleil s’absente presque totalement près de la moitié de l’année.
Abolir le temps, s’amuser à pervertir son jeu trop prévisible (passé/présent/futur), rebattre les cartes.
Pourquoi créer si ce n’est pour toucher à ces frontières où le divin ressemble à un feu de joie ?
La neige brûle, le ciel crépite d’escarbilles devenues étoiles, on fait une ronde.
Une femme se baigne nue dans la mer glacée. On peut appeler cela une performance, ou tout simplement une intensification d’existence.
Là-bas, les hommes ont les doigts tatoués de signes ésotériques, aimés des fées ou des démons de la nuit.
Là-bas, pour parvenir à photographier quelque chose, il faut le flash, qui est la lumière quotidienne du village des damnés.
Extrait d’une correspondance jointe en fin de volume avec le dénommé Arnaldur : “Souviens-toi, un vrai / bon rituel n’a pas besoin d’être documenté, j’ai déjà eu ce problème plusieurs fois et cela a des causes dans le monde spirituel. Un rituel, c’est l’instant”.
Une médium : “Votre particularité, c’est sans aucun doute la maturité de votre âme, vous n’êtes pas une jeune personne d’une âme qui vient sur terre pour la première fois. Quand vous êtes de ce calibre ; vous avez le pouvoir de décider tant de choses sur votre naissance et ce que vous allez faire. Vous êtes spéciale !”
Toute pierre précieuse, ou simple particule de terre, lancée dans l’univers en modifie profondément l’ordre.
Aucun geste n’échappe à la totalité de ce qui existe.
La créature de chiffon s’est transformée en être de chair, petite punk, anthropophage transgenre.
La réalité est un saumon, la crosse d’un fusil, un champ de stalactites, une perruque.
Vous vous déshabillez, entrez dans une chambre froide, vous êtes à votre tour Aurore Colbert.



Volumétrie du corps et du paysage lumières
Jean-Paul Gavard-Perret
Le littéraire, Juin 2017

Au cœur de l’hiver islandais, Marie Mons aka Aurore Colbert est devenue une nouvelle fois photographe de la nuit et de ses métamorphoses. Visage, corps, lieux deviennent fuligineux : le regard les poursuit. Le deuil se dilue par scintillations. Et la question de la ressemblance embraye sur un au-delà. Se voit ce qui est dû à la transfiguration lumineuse du visage, au territoire qu’il affecte et au jeu qu’il provoque. La littéralité devient abyssale mais aussi avènement.
Là où tout semble coupé du monde se produisent des moments d’arrêts, un plein fragile. Bref, une sorte de présence absolue lorsque le visage semble soumis à un flux d’intensité profonde. Il est à la fois fermé sur lui et s’ouvre. Tout devient sortilège halluciné, inclus et dissous.
L’artiste sait intercepter la lumière à tout ce qu’elle ouvre sans le besoin d’aucune porte. Restent les élans d’air et de lumière. Le visage est travaillé parfois par l’artifice pour multiplier son éclat. Lui font écho des motifs paysagers saisis en une radicalité décisive ou par l’action d’abstraire. Il s’agit de découper pour prendre et prendre pour égarer.
L’Islande reste un mystère. La femme tout autant. Les deux voyagent sous la baguette de la construc­trice de sortilèges.



Se voir dans la glace
Anna Cuxac

Causette #77, Avril 2017

D’après l’un des habitants de Seyðisfjörður croisé sur la route d’Aurore Colbert, “le Nord est un endroit mystique qui offre à ton esprit les portes d’accès à la spiritualité”. Dans ce village imprononçable des fjords islandais, Aurore a débarqué sans prévenir, est restée trois mois d’hiver et a fui à l’anglaise. Un voyage initiatique où le personnage fictif d’Aurore (la photographe Marie Mons, en fait qui se met en scène) se frotte aux rituels chamaniques du retour du jour, après cinq mois de nuit totale. Le choix du prénom est un écho à Nietzsche. Pour atteindre “sa propre aurore” - sa rédemption -, il faut vivre “une longue obscurité”. Avec ses photos enneigées et ses autoportraits contemplatifs et inquiétants, Marie Mons illustre avec talent cette nuit d’introspection.



Carine Dolek
OAI13, Mars 2017

Partir c’est mourir un peu, et Marie Mons l’a pris au pied de la lettre. Et mourir c’est renaître. Pour son séjour à Seyðisfjörður en Islande, la photographe a choisi de se laisser porter par son environnement, de l’absorber et d’en restituer le golem. Elle a investi le territoire, le paysage, le village, les habitants, pour faire émaner une nouvelle identité, Aurore Colbert.
Marie Mons a passé l’hiver à Seyðisfjörður, village islandais réputé mystique, encadré par trois montagnes, et privé de soleil cinq mois durant. Au bord des fjords, entre rituels chamaniques, vie sociale et pulls locaux, elle a créé de toutes pièces, fictives et réelles, un nouvel être nourri du hasard et des signes qu’elle a bien voulu interpréter : Aurore Colbert, vrai faux monodrame dont les habitants du village sont devenus les acteurs.



Philippe Bouillon
Commissaire d’exposition du Parcours -40, Pôle Muséal de Mons, Belgique, 2017

L’artiste Marie Mons (ça ne s’invente pas) nous vient de Paris. Son exposition au Magasin de papier lors de notre parcours en 2015 fut très remarquée. Marie est principalement photographe et son propre corps ainsi que sa propre entité sont les acteurs de ses oeuvres. Elle a le chic de pouvoir nous parler de choses graves et sombres pour ensuite être dans une dérision et un univers coloré proche des années 50, tel les magazines de mode ou les livres de cuisine ou d’ameublement… Elle nous questionne ainsi sur notre rapport au territoire aux énergies ancestrales. Marie Mons est une sorte de chaman des temps modernes qui peut prendre l’aspect d’une autre personne qu’elle même, voir ressembler à de la terre, à un caillou, à une bête, à de la glace ou bien du vent…



Les mystères de l'identité
Jean-Paul Gavard-Perret
NiepceBook #3, Octobre 2016

Marie Mons pousse toujours plus loin sa démarche artistique, dépasse ses propres peurs en les affrontant, en continuant à façonner le personnage que l’on rencontre dans ses photographies-performances. La beauté en est le centre, mais de manière décalée : à savoir sans répondre aux stéréotypes [...]. À travers des figures rémanentes, l’artiste pousse vers une rupture capable de créer des vertiges dans un jeu infini d’inducteurs visuels décalés. ils mettent le spectateur en équilibre instable. Tout devient chausse-trappes. En surgit en fourmillement d’images intérieures. Elles viennent sabrer l’illusion réaliste dans des mises en scène souvent nues, sobres, minimalistes. Elles peuvent au besoin cultiver un certain malaise voire un malaise certain. Pour une raison majeure : ce ne sont pas des mirages. Créant un lien avec l’intime et la différence, elle œuvre sur une silhouette parfois androgyne parfois ultra-féminine sans rien abandonner au hasard. Comme elle l’écrit, “ il s’agit de travailler cette dualité en allant puiser au fond de soi ’’. Le tout entre chute et remontée, un ange ou un démon comme tous les personnages que Marie Mons interprète en toute sincérité. Par sa capacité à déranger et son honnêteté, par sa volonté de défendre le droit à la différence et celui d’être une femme libre, l’artiste creuse les identités selon des prises visionnaires. Ici la plus simple image n’est jamais une “ image ’’ simple. Les “ dépersonnalisations ’’ permettent des réappropriations selon une grande énergie et une tension en retenue. Émerge alors l’impulsion d’un refus qui est la prémisse à partir de laquelle l’œuvre se déroule et laisse dans un doute abyssal. Pour éloigner on voudrait sans doute faire la connaissance des êtres “ joués ’’ par le créatrice. Mais elle refuse tout partage complice. Cela reviendrait en effet à dénaturer le sens même d’un travail où l’ambiguïté et l’ambivalence prennent une dimension dynamique d’une rare puissance au sein même de la discrétion et la pudeur.

Marie Mons always takes her artistic approach further, ignoring her own fears by facing them, shaping the characters that we meet in her photos/performances. Beauty is at the heart of her work, but in an offbeat way, avoiding typical stereotypes. Through persistent figures, the artist offers something that is at odds, capable of producing a dizzying effect in an infinite game of quirky visual inducers, causing viewers to feel off-kilter. Everything becomes a series of traps from which a swarm of internal images emerges. These images often cut short the realistic illusion of a naked subject within a minimalist atmosphere. They can, if required, cultivate a particular malaise or even a certain malaise, for a key reason: they are not mirages.
Creating a link between the intimate and the different, she strives for a silhouette which is sometimes ultra-feminine and sometimes androgynous without leaving anything to chance. As she says: “ Introspection allows me to work with this duality ’’. Between fall and ascent, an angel or a devil are characters that Marie Mons interprets with full sincerity. Through her ability to disturb and her honesty, her will to defend the right to differ and to be a free woman, the artist fashions identities by virtue of visionary shots. Here the simplest image is never a simple “ image ”. “ Depersonalisation ” enables appropriations that are full of energy and display restraint. Hence the impulse of a refusal emerges which is the premise from which the work takes place and casts abyssal doubt. To refute that impulse we would like to become acquainted with the characters embodied by the creator but she refuses to reveal them. That would indeed alter the meaning of a work in which ambiguity and ambivalence take their dynamic dimension and power with both discretion and modesty.

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© 2023, Marie Mons.